Un monde flottant, dialogue d'estampes, Japon-Europe
Exposition du 12 octobre 2018 au 3 février 2019

Cette exposition a été montée en partenariat avec la JAG (Johannesburg Art Gallery, Afrique du Sud) qui prête une partie de ses collections d'estampes japonaises que l'on découvre dans la première partie de l'exposition.

Ces oeuvres font écho aux oeuvres d'artistes européens appartenant au musée Léon-Dierx présentées dans une deuxième partie. A travers d'une sélection d’estampes françaises de la seconde moitié du XIXe siècle, l’exposition aborde ce dialogue entre les estampes ukiyo-e et les productions occidentales, dans ce qu’elles donnent à voir du « monde flottant ».

L'exposition aborde l’époque d’Edo (1603-1868) marquée par le retour de la paix au Japon et une période de prospérité sous la dynastie des Tokugawa. Ces chefs militaires (shoguns) qui se passent le pouvoir de père en fils ont choisi pour capitale la ville Edo (aujourd'hui Tokyo) afin de s'éloigner de Kyoto, la capitale où résident l’empereur avec sa cour et l’administration. Edo devient ainsi la capitale politique, économique et culturelle de l’archipel japonais durant plus de deux siècles. 

L’ukiyo-e, une philosophie de vie

La période Edo correspond également à un bouleversement culturel que l’art de l’estampe reflète : les thèmes principaux de milliers de gravures sur bois en couleur révèlent la philosophie de vie d’une grande partie des Japonais : « […] vivre uniquement le moment présent, se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier et de la feuille d’érable […], ne pas se laisser abattre par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître sur son visage, mais dériver comme une calebasse sur la rivière, c’est ce qui s’appelle ukiyo » (Asai Ryôi, vers 1665).

Le terme ukiyo, « monde flottant », traduit tout d’abord l’idée de légèreté et renvoie à l’impermanence des choses. Il apparaît ensuite associé à la notion d’image, « e », vers 1680 dans un livre illustré par l’artiste Moronobu (c.1678?-1694), considéré comme le fondateur de l’école ukiyo-e. Les artistes s’inspirent ainsi de leur époque, des activités liées aux divertissements, parfois des thèmes traditionnels, mais sur un mode ludique, reflétant les goûts de la bourgeoisie urbaine de l’époque d’Edo. Les acteurs, les courtisanes, les estampes érotiques, très nombreuses, les scènes de la vie quotidienne envahissent le marché, suivis de très loin par le paysage, qui s’affirma au XIXe siècle, peu avant la fin de la période Edo. 

… et l’Europe découvrit le Japon

L’époque Edo est aussi le temps de l’isolement : tout commerce et tout échange avec les étrangers sont interdits. Une tolérance est accordée dans le port de Nagasaki pour les marchands chinois et hollandais. Il faut attendre 1853 pour que le Japon « s’ouvre au monde », après deux siècles et demi d’isolement et la signature de contrats commerciaux avec plusieurs pays européens, dont la France, en 1858. 

Les estampes japonaises sont alors « découvertes » par un grand nombre de collectionneurs, artistes, critiques d’art, marchands occidentaux, conservateurs des collections publiques… Les Occidentaux admirent ces estampes ukiyo-e, parmi une quantité d’objets japonais qui affluent sur le marché occidental. Ces « japonaiseries » révèlent des caractéristiques artistiques nouvelles qui suscitent la curiosité et l’engouement de tout un chacun. La vague du japonisme déferle alors, déclinée dans différents domaines : la mode, la littérature, le théâtre, la presse, la publicité, les sphères mondaines…

Un renouvellement des pratiques artistiques

Le milieu artistique européen est particulièrement réceptif à cette approche esthétique différente qui, à partir des années 1860, bouleverse en profondeur la création occidentale pendant plusieurs décennies. De fait, dans un contexte de remise en question des principes hérités de la tradition académique, les artistes occidentaux puisent dans l’art japonais une source de renouvellement de leur pratique et une confirmation de certains de leurs partis pris esthétiques. L’art japonais imprègne alors progressivement l’art occidental qui le « copie », le réinterprète, l’assimile.

Les estampes ukiyo-e, particulièrement innovantes sur le plan technique et esthétique et qui sont collectionnées par de nombreux artistes, tiennent une place essentielle dans l’influence qu’exerce l’art japonais sur l’art occidental. L’usage des aplats chromatiques, la simplification des formes, l’expressivité du trait, l’introduction de la perspective inversée, de l’asymétrie des compositions sont tout autant de procédés stylistiques des estampes japonaises dont s’inspirent Édouard Manet, Claude Monet, Vincent Van Gogh, Edgar Degas, le groupe des Nabis ou encore Henri de Toulouse-Lautrec, pour ne citer qu’eux. Des thèmes issus du répertoire des estampes japonaises tels que la vie urbaine ou les représentations d’individus dans des activités de la vie quotidienne ainsi que les codes japonais d’attitude et de mouvements sont également repris et réinterprétés.