PAUL ET VIRGINIE ET LA NAISSANCE DE L'EXOTISME
Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, C. Tallandier, [non daté] (front., portrait de l'auteur d'après Maurice Leloir)
La collection Paul et Virginie du musée
Paul et Virginie, roman de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, raconte une histoire d’amour dans le cadre paradisiaque de l’île de France (île Maurice). Cette fiction mythique se mêle intimement à l’histoire des îles du sud-ouest de l’océan Indien.
Entre 1911 et 1914, Marius et Ary Leblond constituent pour le musée Léon-Dierx la première collection muséale française sur le thème de Paul et Virginie. Estampes, éditions de diverses époques, assiettes, sculptures, textiles, étaient mis en scène dans une salle spécialement dédiée, évoquant un intérieur créole. Les estampes accrochées aux cloisons sur plusieurs niveaux, se déployaient autour des portraits de Bernardin de Saint-Pierre. Les lithographies et gravures originales étaient mises en correspondance avec une multitude d’objets divers. Une bibliothèque ayant appartenu au gouverneur Mahé de La Bourdonnais, personnage présent dans le récit, rassemblait les diverses éditions du roman.
Pour les Leblond, l’œuvre de Bernardin de Saint-Pierre rappelle le temps des pionniers, celui des colons français dans l’océan Indien venus mettre en valeur les îles Mascareignes. Écrivains au service de l’empire colonial, Marius et Ary Leblond se servent de Paul et Virginie pour mettre en évidence l’histoire de la présence française et célébrer le génie national.
Cette collection, toujours complétée par des acquisitions régulières, représente la troisième collection publique française de référence après celles de la Bibliothèque nationale de France et du musée du Quai Branly-Jacques Chirac.
Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, L. Boulanger, [non daté]
« Paul et Virginie » : le premier roman exotique français
Paul et Virginie est publié en 1788 dans le quatrième tome des Études de la nature, puis en volume séparé en 1789. L’intrigue a pour cadre l'île de France que Bernardin de Saint-Pierre connaît bien pour y avoir séjourné pendant près de trois ans de 1768 à 1771. Dans cet environnement exotique et colonial, influencé par le philosophe Jean-Jacques Rousseau, l’auteur y oppose la pureté de la nature à la sauvagerie de la civilisation.
Avec ce roman appartenant à un genre un peu oublié au XVIIIe, la pastorale, Bernardin de Saint-Pierre amorce un tournant important dans l'histoire de la littérature. En effet, le rôle qu’il confère à la nature qu’il décrit avec une précision et une exactitude rarement égalées, son goût pour l'exotisme et la rêverie, annoncent le romantisme.
Paul et Virginie grandissent comme frère et sœur, sans autre éducation que la nature luxuriante et généreuse qui les entoure et l'amour, tendre et communicatif, qui lie les membres de leur petite communauté. Pourtant, à l'adolescence, l'attirance des deux enfants l'un pour l'autre change de nature. Virginie, de noble extraction, est envoyée en Europe pour parfaire son éducation. Malheureuse et incapable de se soumettre à l’hypocrisie de la société européenne, elle revient sur son île natale. Prise dans un naufrage, elle meurt noyée sous les yeux de Paul.
À peine imprimé, le roman connut un immense succès qui dépassa les frontières. Peu de romans du XVIIIe siècle ont joui d’une célébrité aussi considérable que cette idylle. On ne compte plus les éditions de Paul et Virginie et les traductions en langues étrangères. Le récit fut adapté au théâtre, à l'opéra, puis plus tard au cinéma et à la télévision. Il a donné lieu à une floraison d’images déclinant les épisodes du roman sur une multitude de supports.
Alexandre de Bar, Portrait de Bernardin de Saint-Pierre, 1883
L’auteur
Jacques-Henri Bernardin de Saint Pierre est né au Havre en 1737. Il est mort le 21 janvier 1814, dans sa propriété d'Eragny, sur les bords de l'Oise.
Dès l’enfance, il montre un esprit à la fois rêveur et exalté. Attiré par les contrées lointaines et inspiré par la lecture de Robinson Crusoé, il s’embarque à l’âge de 12 ans sur le navire d’un de ses oncles qui se rend en Martinique.
Ingénieur de l’École des ponts et chaussées à 22 ans, il mène d’abord une vie aventureuse, voyageant de métier en métier et de pays en pays, en Allemagne, à Malte, en Hollande, en Russie, en Pologne et en Autriche. De retour en France en novembre 1766, il a des velléités de se faire homme de lettres, et rédige ses notes de voyage.
Ayant obtenu le grade de Capitaine-ingénieur du roi pour l’île de France alors colonie française, il embarque en février 1768, persuadé d’être plus heureux dans ce nouveau monde. Ce séjour sera décisif car il est à l’origine de sa carrière littéraire et de son engagement humaniste. Cependant, près de trois années dans l’île lui enlèvent ses dernières illusions, fustigeant la hiérarchie administrative de l’île, les mesquineries des colons, les horreurs de l’esclavage. Bernardin de Saint-Pierre fut l’un des rares auteurs français du XVIIIe siècle à s’opposer frontalement et sans ambiguïté à l’esclavage et au racisme.
De retour à Paris en 1771, désabusé mais malgré tout sensible à la mélancolie du cadre naturel qu’il a minutieusement observé, il se résout à vivre de sa plume. Il se met à fréquenter la Société des gens de lettres, il fréquente le Salon de Julie de Lespinasse, la Société des philosophes et se lie avec Jean-Jacques Rousseau dont il partage l’amour de la nature et l’horreur de la civilisation.
En 1773, il publie Voyage à l'île de France, récit sous forme de lettres à un ami, mais qui est assez mal accueilli. Il devient célèbre avec les trois premiers volumes de ses Études de la nature (1784) ; le quatrième volume, Paul et Virginie rédigé en 1788, consacre sa gloire littéraire.
Intendant du Jardin des Plantes en 1792, il enseigne la morale à l’École normale instituée par la Convention. Membre de l’Institut lors de sa création en 1795, il est élu membre l'Académie française en 1803 et en devient le président en 1807.