Résidence "Patrimoine et création" #1
Traces fantômes / Un peu de bleu dans le paysage
Oeuvres de Charly Lesquelin / Oeuvres de Charles Prime
18 mai 2018 - 26 août 2018
Dans le cadre de sa politique culturelle, le Département de La Réunion met en place un dispositif de soutien à la création artistique et de valorisation du patrimoine : les Résidences " Patrimoine et création".
La collectivité assure la gestion des plus anciennes structures culturelles de La Réunion qui possèdent de riches collections. Le Département souhaite que ce patrimoine nourrisse l’inspiration des plasticiens, des musiciens, des écrivains et autres créateurs de l’île dans le cadre de résidences d'artistes.
En 2018 pour cette première édition, le musée Léon-Dierx a retenu deux peintres Charly Lesquelin et Charles Prime. La restitution de leur travail inspiré des dessins, peintures et photographies sur les Hauts de l’île conservés au musée Léon-Dierx et des Archives départementales de La Réunion a eu lieu au musée.
Charly Lesquelin
Traces fantômes
L’intérieur de l’île a façonné l’imaginaire de Charly Lesquelin. Aperçus dès l’enfance lors de ses déambulations dans la montagne, les sentiers, grottes, ilets et rochers deviennent les traces et les empreintes d’un récit sans représentation iconographique : celui des esclaves marrons épris de liberté qui hantent l’esprit de l’artiste.
Au-delà des références à l’histoire de l’île, source d’une colère artistique dans un premier temps exprimée dans une effusion de couleurs, les paysages de Lesquelin sont ici le reflet d’une âme qui s’est apaisée au contact d’autres références culturelles liées au bouddhisme. C’est l’art de la calligraphie qui s’immisce dans l’œuvre : l’encre de Chine, la légèreté du trait, le geste suspendu qui laisse le dessin inachevé.
La résidence au musée Léon-Dierx a été pour lui l’occasion d’une redécouverte des collections historiques du musée, notamment des paysages du peintre Adolphe Le Roy (1832-1892). Dans sa démarche, Charly Lesquelin se réfère à l’histoire de l’art à La Réunion et aux artistes du XIXe siècle inspirés par la nature grandiose de l’intérieur de l’île.
En noir et blanc ou en camaïeux de gris au gris de Payne, le cœur de l’île est idéalisé comme un Eden, celui d’une Eve et d’un Adam «marrons». On suit la trace du couple originel réinterprété sur les sentiers, dans les grottes et les ilets. Mais ce paradis est aussi aux portes de l’enfer : les noirs profonds nous plongent dans l’abîme de l’histoire du peuplement de l’île.
Les détails de la végétation, les éléments minéraux, les pierres volcaniques au fond d’un ravin, semblent proches, comme dessinés sur le vif, sur le motif. Mais tout n’est que recomposition dans une démarche artistique sur les traces de la peinture académique. Enfin, les grands panoramas imaginaires de Charly Lesquelin se réfèrent aussi à l’univers de la bande dessinée féérique qui passionne l’artiste.
Traces fantômes est la synthèse de tout cela.
Charles Prime
Un peu de bleu dans le paysage
La passion de Charles Prime pour la randonnée et pour la peinture de paysages du XVIIe siècle ou de la période romantique, sont à l’origine de sa pratique picturale.
Peignant les sites naturels qu’il parcourt, ses tableaux se sont progressivement éloignés de ses références artistiques, afin d’y ajouter des éléments plus personnels, notamment l’interaction des hommes dans le paysage ou sur le paysage : la manière dont ils le contemplent, le photographient, l’arpentent, l’aménagent ou l'ignorent. De peintre de paysage obsédé par la beauté du point de vue, Charles Prime s’est mis à regarder les gens qui regardent un paysage.
Il peint donc des scènes : scènes en montagne, scènes touristiques, scènes de voyage… Les compositions de ses tableaux reconstituent un évènement ou traduisent une émotion. Les personnages dans les paysages de Charles Prime prennent une photo, scrutent l’horizon en mangeant des pâtes ou sont concentrés sur l’écran de leur téléphone portable : ils sont absorbés par leur propre action. Ils ignorent le spectateur, ouvrant un espace intime et personnel dans l’espace partagé et immuable du paysage. Prenant à revers la tradition de la peinture de paysage, où l’admiration de ce qui est peint prévaut, ces personnages attirent le regard du spectateur hors du cadre, hors champ; leur concentration se porte sur un élément que le spectateur ne voit pas.
La résidence de Charles Prime au musée Léon-Dierx s’inscrit en partie dans la continuité de l’exposition Au cœur d’une île, les artistes et les Hauts de La Réunion au XIXe siècle. Cinq toiles exposées ici s’inspirent de photographies anciennes pour créer des scènes où il joue du contraste ironique entre l’immuabilité des paysages et l’actualité des situations décrites mais dans une volonté simple de peindre la vie moderne, telle qu’elle est.
Omniprésents lorsqu’on part en voyage ou en randonnée, drones, téléphones portables, panneaux touristiques ou marques de vêtement se retrouvent alors naturellement dans sa peinture sans que l’artiste n’en maitrise la signification.