Résidence "Patrimoine et création" #2 

Les Hauts d'une île

Photographies de Morgan Fache

8 novembre 2019 - 5 avril 2020

Commissaires de l’exposition : 

Nathalie Gonthier, 
Bernard Leveneur, conservateur du patrimoine, directeur du musée Léon-Dierx

Patrimoine et création

En 2018, le Département de La Réunion met en place un dispositif de soutien à la création artistique et de valorisation du patrimoine : les résidences «Patrimoine et création». Elles associent des artistes aux équipements culturels départementaux. À l’occasion de cette seconde édition, un photographe, Morgan Fache, est choisi pour mener un projet artistique au musée Léon-Dierx.

Riche en œuvres sur le paysage et le portrait au XIXe siècle, le musée Léon-Dierx s’attache depuis plus de deux ans à traiter les Hauts de l’île à travers ses expositions Au cœur d’une île, les artistes et les Hauts de La Réunion au XIXe siècle en 2017Traces fantômes et Un peu de bleu dans le paysage en 2018 avec les peintres Charly Lesquelin et Charles Prime (résidence « Patrimoine et création » #1). Les Hauts d’une l’île constitue le troisième volet de ce programme.

Un regard contemporain

« J’ai longtemps vécu dans les Hauts de La Réunion. La richesse de l’imaginaire autour de ce territoire m’a très vite intéressé. Véritable cœur de l’île, il constitue une source de fantasmes qui s’étend de la Lémurie de Jules Hermann à la poésie de Boris Gamaleya. Il suscite également l’intérêt de conteurs actuels comme Sergio Grondin ou Daniel Léocadie. Sa beauté, ses espèces endémiques et surtout le fait qu’il soit constitutif de l’histoire et de l’identité réunionnaise m’ont amené à apporter par l’image actuelle, une mise en perspective » - Morgan Fache.

Cependant, comment passer aujourd’hui de l’imaginaire projeté autour de la vie des « marrons », ces premiers habitants des cirques, à la réalité d’une vie de « Yab des hauts » ? Comment évoquer les Hauts aujourd’hui en s’affranchissant d’un folklore idéalisé ? Quelles sont les activités, les pratiques culturelles ou quotidiennes des populations qui y vivent ? Comment les habitants de ces territoires, pour une grande part enclavés, s’adaptent-ils à une urbanisation toujours plus grandissante, à un mode de vie remettant en cause les traditions et les pratiques anciennes souvent idéalisées ?

En choisissant le Brûlé à Saint-Denis, Dos d’Âne à La Possession, Coin Tranquille à la Plaine des Cafres au Tampon, Grand Coude à Saint-Joseph et la Plaine des Palmistes, le parti-pris est de s’écarter des grands sites touristiques. Ces lieux entrent au musée qui poursuit ainsi son projet d’explorer l’identité historique, culturelle et artistique du territoire insulaire. 

Ce projet photographique assume pleinement sa part de subjectivité. L’artiste se place à l’intérieur de l’île pour restituer une réalité, en faire partie et se confondre avec elle. L’acte de photographier prend alors tout son sens, il faut s’effacer pour capter, enregistrer, les modifications et les fonctionnements d’une société.

Les séries photographiques présentées situent des parcours de vie et les ancrent dans l’histoire commune d’un territoire à caractère fortement agricole. D’autres témoignent d’activités liées à la tradition du « changement d’air », expression créole désignant la villégiature d’altitude. Les images et les paroles récoltées attestent des nouveaux lieux de vie avec ses usages festifs et une nouvelle forme de loisirs.

 

Dialogue historique

Les images actuelles de Morgan Fache dialoguent dans l’exposition avec une sélection de photographies originales et de cartes postales d’époques réalisées par des photographes installés à La Réunion au milieu du XXe siècle.

Dès le départ, et conformément à l’esprit des résidences « Patrimoine et création », Morgan Fache souhaite leur association à sa présentation pour rattacher sa démarche à une mémoire photographique des Hauts dont les contours se dessinent ces 20 dernières années. 

Ces photographies proviennent des archives de photographes : Jean Colbe (Coll. Archives départementales de La Réunion), André Blay (coll. Jean-Luc Blay), Jean Legros (coll. Patrick Legros), Maurice Estève (coll. Bernard Estève), ou des fonds de collectionneurs (Jean-François Hibon de Frohen, Jeanne Macé). Ce corpus historique, disposé au début de l’exposition en guise d’introduction, donne une vision des Hauts de l’île durant les années 1950-1960 et établit des correspondances avec le travail photographique de Morgan Fache réalisé entre décembre 2018 et juin 2019. 

Images d’Épinal à travers des cartes postales colorisées, « reportages » familiaux ou premières impressions de métropolitains découvrant l’île, ces photographies constituent un état des lieux rattachés à un imaginaire collectif insulaire, toujours d’actualité, sur le caractère grandiose, original et authentique des régions concernées.

Regards d'adolescents

Dans cette résidence, la démarche de sensibilisation à la photographie s’est faite avec un grand naturel. Dès le début de ce projet, Morgan Fache envisage que de jeunes enfants ou adolescents puissent donner leur propre vision de leur environnement. L'objectif ici est qu’ils se laissent porter par leurs sensations au travers de la photographie et de leur imagination.

Dans cette optique, des appareils jetables argentiques sont distribués aux enfants des familles rencontrées. Ce type de matériel ne leur laisse pas la possibilité de voir le résultat de leur production. Cette contrainte est une approche intéressante pour un public souvent habitué à photographier avec des téléphones ou autre appareils numériques.

Après une brève initiation au cadrage, tout le reste leur appartient. Pour Morgan Fache : "L’important était de pouvoir partager par le biais de la photographie que ce soit avec son entourage ou son environnement proche. J’ai pu les croiser régulièrement au fur et à mesure de ma résidence et noter les réactions des uns et des autres. J’ai senti pour certains en les écoutant que cet appareil dit "jetable" était finalement devenu précieux car chaque image était comptée et dès qu’elle était faite on ne pouvait que passer à la suivante, contrairement à un téléphone où l’on peut prendre une image puis l’effacer dans l’instant. J’ai aussi compris que le fait de photographier les avaient amenés à appréhender, regarder les choses autrement, en prenant le temps".

Le résultat de leurs déambulations, rencontres et découvertes constitue l'une des sections de cette exposition. Une sélection de ces photographies est présentée dans le Cabinet des estampes du musée.