Résidence "Patrimoine et création" #4

Derrière la lumière, la mémoire retrouvée

Thierry Fontaine
Tiéri Rivière
Abel Técher

27 novembre 2021 - 3 avril 2022
Musée Léon-Dierx,
du mardi au dimanche de 9h30 à 17h30

Commissariat :
Valentine Umansky, Nathalie Gonthier, Bernard Leveneur

La constitution de la collection du musée Léon Dierx ne relève pas du schéma classique qui prévaut à la création d’un musée en France au début du 20ème siècle. Ce musée des beaux-arts, situé sur le territoire colonial, à près de 10000 km de la France hexagonale, au cœur de l’océan Indien, est le résultat de la volonté de deux intellectuels créoles, George Athénas et Aimé Merlo, mieux connu sous leur pseudonyme Marius-Ary Leblond.  

Au début du 20ème siècle, ils créent donc le premier musée colonial français. Ils ambitionnent de faire de La Réunion la métropole de la civilisation française dans l’hémisphère austral en y transposant un ensemble de valeurs occidentales, portées par l’art et la culture. La portée salvatrice de cette entreprise, revendiquée par ses initiateurs, ne manquera pas de contribuer à enraciner l’idée d’une supériorité de race occidentale et blanche, au sein des mentalités coloniales.

À l’origine, la constitution du fonds du musée a pour objectif principal l’édification d’une mémoire. Il s’enrichit ensuite selon une logique d’assemblage entre création européenne contemporaine, références historiques et goût populaire local, qu’il se doit de préserver.

Durant ses premières années, la collection reçoit de nombreuses œuvres d’artistes locaux, datant de la fin du 19ème, dont celles d’Adèle Ferrand, de Louis Antoine Roussin, d'Arthur Grimaud ou encore d'Adolphe Leroy. En 1913, un autre ensemble d’importance, comprenant dessins et gravures consacrés à l’ouvrage Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, est cédé au musée. L’histoire de Paul et Virginie, qui propose un ensemble de représentations exoticisantes d’un ailleurs, s’intègre parfaitement dans cette collection historique qui promeut l’histoire de l’art occidental. 

Un second moment majeur aura lieu en 1947 : 157 œuvres sont données par le frère du marchand réunionnais Ambroise Vollard et auréolent la collection du musée d’un attrait indéniable. Ce sont des noms prestigieux tels que Pablo Picasso, Auguste Renoir, Paul Gauguin, Georges Rouault, qui entrent alors dans les collections des outre-mer. 

Thierry Fontaine, Tiéri Rivière et Abel Técher développent leurs recherches artistiques en s’appuyant sur ces collections. Ces trois artistes réunionnais questionnent une possible représentation du paysage, la fabrication d’une imagerie coloniale ou l’inscription des corps dans d’imaginaires espaces architecturaux par le biais d’œuvres dessinées, sculptées, photographiées, projetées ou encore d’installations. 

Derrière la lumière, celle du siècle des progrès, se joue une mémoire, transmise, projetée, ravivée par nombre d’artistes et d’écrivains. Le projet d’un musée des beaux-arts en territoire colonial avait pour ambition première d’éduquer et d’édifier une histoire mémorielle. Aujourd’hui encore, par ce cycle de résidences, et sa rencontre avec la création contemporaine, il contribue à écrire le récit d’identités culturelles créoles actuelles et multiples.

Thierry Fontaine

Thierry Fontaine expérimente le geste et l’action, la fabrication de l’objet et son rapport contextuel. L’image est pour lui l’aboutissement de complexes constructions plastiques. C’est à l’approche romantique des paysages de La Réunion peints par Adolphe Leroy (1832-1892) qu’il a choisi de se confronter. Il interroge ainsi les limites de la nature ; il questionne le territoire, entre intérieur et extérieur.  

Il photographie des espaces vides, dont les mises en scène évoquent des rêves éveillés. A qui appartiennent ces corps, qu’il restitue sous forme de vestiges ? Quels étaient leurs croyances ? Les indices qu’il nous transmet -statuaire, masques, bijoux, rituels- prennent corps au sein de cette nature idéalisée et sentimentale peinte à la fin du 19ème siècle par Adolphe Leroy et entraînent une lecture fictionnelle de l’histoire.

Son travail artistique se situe à l’intersection de plusieurs genres. Bien qu’il ait choisi l’image comme médium de prédilection pour aboutir ses œuvres, son rapport au volume, par la sculpture et l’installation sous-tend l’ensemble de ses propositions plastiques. Ses différents travaux mettent en scène des natures mortes qu’il se charge ensuite de fixer par l’image. 

Thierry Fontaine est né en 1969 à Saint-Pierre de La Réunion et vit et travaille sur l’île. Diplômé de l’École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg en 1992, il a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 1999.

Tiéri Rivière

Tiéri Rivière s’attache par le choix de matériaux, de modèles architecturaux ou de formes décoratives, à révéler une identité culturelle spécifique au territoire qu’il revendique. Ainsi, l’habitation créole, sa structure d’origine et ses motifs, lui permettent de questionner son contexte. Il crée des espaces à éprouver, dans lesquels son propre corps va servir d’étalon. La représentation d’actions, de gestes, par la captation filmique ou par le dessin, lui permet d’interagir avec ces espaces, d’expérimenter équilibres et chutes. Il choisit des objets simples -billes, sac de couchage, palette- et le met en dialogue avec son corps. Restitutions d’actions ineptes, ces œuvres s’installent dans tout le musée, depuis les jardins jusqu’aux galeries intérieures.

Son approche trouve un écho subtil chez Georges Rouault dont la série de gravures, réalisées pour « les Réincarnations du Père Ubu » est éditée par Ambroise Vollard en 1932. Achetée en 1987, cette série met en scène le personnage d’Ubu Roi crée par Alfred Jarry dans une pièce qui préfigure le « théâtre de l’absurde » dont l’influence sur les mouvements Dada et surréaliste du début du 20ème siècle est indéniable. Dans cet ouvrage, Ambroise Vollard et Georges Rouault choisissent de transposer la figure monstrueuse du pouvoir, Ubu Roi, pour évoquer la domination colonialiste et administrative. L’histoire des conquêtes et la question même des races, trouvent dans cette œuvre l’expression de sa dénonciation.

Tiéri Rivière est né à La Réunion en 1981. Il est diplômé de l’Ecole supérieure des Beaux-arts de Montpellier et de la Haute école des arts du Rhin. Il vit et travaille à La Réunion.  

Abel Técher

Abel Técher se confronte également à la fiction. Il a choisi comme « matières à créer » les nombreuses illustrations graphiques de Paul et Virginie, l’épopée insulaire écrite par Jacques-Henri Bernardin de Saint Pierre en 1788, dont l’action se déroule à l’île Maurice. Au regard des œuvres inspirées par ce roman et qui ont constitué le fonds initial du musée Léon Dierx, c’est la portée initiale de cet ensemble d’œuvres sur le territoire d’une colonie française qui lui pose question. Quel peut être l’impact sur l’imaginaire contemporain réunionnais, de cette littérature et de cette imagerie coloniale.

La narration romantique de Jacques-Henri Bernardin de Saint Pierre, sa description d’une île paradisiaque, cette fabrication d’un imaginaire, au sein duquel chacun est à sa place dans un rapport de domination assumé, entraine Abel Técher à inventer un espace réel de fabrication d’imagerie coloniale. Il détourne et remet au goût du jour les arts décoratifs transposant la représentation fictive d’une l’île lointaine, étrangère au vieux continent, en un ensemble de personnages et de paysages devenus motifs graphiques. 

Depuis ses premiers travaux, Abel Técher développe une pratique pluridisciplinaire - peinture, dessin, sculpture, photographie, vidéo et installation. Il s’attache à questionner les notions d'identité et de genre. Le traitement du corps, des limites et du rapport de domination y est omniprésent. Être et se représenter, créer ses propres avatars, sont des enjeux avec lesquels il joue avec subtilité et distance.

Abel Técher est né en 1992 à Saint-Pierre, il suit des études d'art à l'Ecole Supérieure d'Art de la Réunion où il obtient son master en 2015 avec les Félicitations du Jury. Il vit et travaille à La Réunion.